Entre-lier
Exposition personnelle et atelier de recherches

Galerie Le Rayon Vert, Nantes
Du 06 juillet au 19 août 2023

par Estelle Jourdain, 2023

Je pratique la sculpture et la photographie.
Faire lien est au centre de ma démarche artistique et prend particulièrement forme dans la mise en relation de l’espace et du temps. Je fais appel aux perceptions dans l’intention d’évoquer, par petites touches, au delà d’une description, un instant précis, un moment unique.
A partir de fragments singuliers, une forme, un lieu, une ambiance, un objet, une lumière, je transforme le réel pour en saisir l’imperceptible, espace en soi, un silence où tout est possible.
Je fais dialoguer les notions, d’apparence opposées mais qui pour moi sont complémentaires – intérieur/extérieur, ombre/lumière, présence/absence, visible/invisible – créant alors une alchimie, une zone où l’un et l’autre s’affirment ou se fondent, et révèlent le lien.

« Entre-lier », c’est avant tout un ensemble de gestes dans ma pratique artistique. Celui d’assembler, de composer une forme, un volume, par répétition. Quand je mets en tension l’acier, le fil. Dans les photographies que j’associe en micro-séries, par la transparence, la superposition ou le recouvrement. Celui de broder sur photographie qui révèle la cadence d’exécution, point par point.
En évoluant dans l’espace qui m’entoure, j’en extrais des fragments, ce qui engage une posture à chaque fois renouvelée. Lors des expositions ou avec la création d’œuvres in situ, mon action est de s’accorder au lieu pour instaurer un réel dialogue avec l’espace.
« Entre-lier », c’est notamment créer un va et vient permanent entre les différents aspects de mon travail.

Pour l’exposition Entre-lier, je « lie l’un l’autre » (Le Littré – 1876) sculpture, photographie et dessins au fil cousu sur photographie, les œuvres avec le lieu d’exposition, en une thématique commune sur les notions d’espace et de temps.

Le nom de la galerie «Le rayon vert», qui accueille l’exposition, est issu du phénomène optique du même nom*. Celui-ci nécessite la concordance absolue entre un lieu et un instant précis. Partant de ce postulat pour définir mes choix, et en écho à ma propre démarche artistique, l’exposition associe des œuvres réalisées à partir et pour le lieu, et des plus anciennes, en lien avec ce sujet.

Mon idée première a été de partir de l’horizon. L’horizon est le lieu de réalisation possible du rayon vert, mais aussi la ligne qui sépare et qui unit, le siège de mutation d’un espace à un autre, propice à la création de nouveaux espaces, des « paysages »** transformés, détournés, fabriqués, fantasmés… infinis et indéfinis, ouverture sur un ailleurs.

L’essence éphémère du rayon vert fait plus particulièrement écho à mes photographies dans lesquelles ce thème est central. L’espace représenté s’associe au temps qui, en une image ou en série, évoque le mouvement perpétuel, l’impermanence. L’effacement du sujet, entre apparition et disparition, participe de cette intention. A l’opposé, par la sculpture et les dessins cousus sur photographie, en un geste répétitif, le temps s’inscrit dans la matière, se déploie dans l’espace. Dans un mouvement intrinsèque, câble métallique et fil métallisé accrochent la lumière, forment un rythme régulier qui ponctue le temps.

« Entre-lier » évoque également l’espace-temps de l’acte de création. J’installerai mon atelier au sein de l’exposition pour lier ce moment spécifique à l’espace singulier de la galerie Le Rayon Vert.

*« Le rayon vert, flash vert ou encore éclair vert (de l’anglais green flash) est un photométéore rare* qui peut être observé au lever ou au coucher du soleil et qui prend la forme d’un point vert visible quelques secondes au sommet de l’image de l’astre tandis qu’il se trouve en grande partie sous l’horizon. Un tel phénomène peut également être observé avec la Lune. » An Etymological Dictionary of Astronomy and Astrophysics : English-French-Persian – Observatoire de Paris, 2005-2015 / « Rare Moon Green Flash Captured » – European Southern Observatory, 25 avril 2011.
**au sens d’« étendue spatiale (…) ; vue de l’ensemble que l’on a d’un point donné » / Définition Larousse.

Exposition Cet étrange objet du réel

Espace Vallès, St Martin d’Hères (Isère, France)
Du 23 novembre au 22 décembre 2018

Exposition collective avec Christophe Canato, Manuel Dessort, Estelle Jourdain, Nadine Lahoz-Quilez, Johan Parent et Philippe Veyrunes

« À travers la confrontation de leurs œuvres, ce n’est pas tant le réel de tout objet qui est ici interrogé que le sentiment d’étrangeté de chaque proposition et de ce que leur rapprochement provoque. Et c’est bien la définition possible de l’œuvre que vise, en filigrane, cette investigation : ce qu’on peut percevoir et comprendre de cet étrange objet du réel, ce qui en lui forme attirance. À chaque regardeur d’esquisser sa réponse, de décoder à sa manière le réel et ses objets exploratoires, de capter surtout l’étrange résonance qui en émane ».

Dans Périphériques N° 86 – Sept 2018, Jean-Pierre Chambon



Exposition A la lueur, Galerie Kamila Regent

Le choix de programmer Aurélia Jaubert et Estelle Jourdain repose sur une lecture de leurs oeuvres qui fait appel à la mémoire et à l’oubli… Leur approche des sujets est différente mais elles ont en commun d’utiliser des outils de la modernité, voire d’être photosensible au presque rien et de réaliser des œuvres empreintes d’une poétique réellement contemporaine.

(…)

Estelle Jourdain lors d’une résidence à Chambre avec vue en 2016 a relevé le défi de photographier l’impalpable, les ombres et les lumières qui suggèrent des présences absences. La maison et l’église ont été le théâtre intime de ses prises de vues dans lesquelles on peut ressentir la présence en filigrane de Rosette Tamisier qui vécut au 19e siècle à Saignon.

Egalement sculpteur, elle a longtemps tissé des fils d’acier et composé des formes abstraites, linéaires tels que les deux pièces qui sont présentés dans le cadre de l’exposition.

A même la demeure, la galerie Kamila Regent a pour vocation de mettre en scène les oeuvres dans le quotidien des jours et des nuits…

Kamila Regent, Saignon le 17 juin 2017

Chambre avec vue, résidence d’art et d’écriture, Saignon (Vaucluse, France)

Un art qui a aussi besoin

par Pascal Thevenet, auteur

« La conception de mes premières sculptures s’est faite à partir de la notion d’ « objet » (le terme « objet » est pris ici dans le sens de « ce qui est placé devant, connu directement par nos sens ») ». À l’heure où Estelle Jourdain a fait cette analyse, elle a conscience de l’existence d’objets physiques et d’objets idéaux. Les objets physiques existent dans l’espace et le temps  : une table, une montagne, une sculpture. Les objets idéaux existent hors de l’espace et du temps  : une idée, un théorème, les propriétés d’un cercle, figure récurrente dans la recherche d’Estelle Jourdain. Mais pouvait-elle alors supposer l’émergence de l’objet social ?

L’objet social n’est ni physique, ni idéal. Il existe dans le temps et dans l’espace seulement s’il génère une inscription, un enregistrement d’une portion du temps et de l’espace. Il conscientise notre appartenance et notre dépendance au réel. La production photographique d’Estelle Jourdain prend cette fonction de conscientisation dès lors que l’artiste pique la surface de ses images. La broderie à fleur de la matière photographique n’autorise plus l’immédiateté de la communication de l’œuvre. Il y a un intermédiaire entre l’image et moi. Cet intermédiaire, c’est le besoin qu’a l’artiste d’éprouver sa place dans l’espace, minuscule, de l’ouvrage de broderie, et dans le temps, contraint et contraignant, qu’impose le geste de précision. En cela, et pour suivre la pensée d’Henri Bergson, Estelle Jourdain puise du réel de sa création un besoin. Le besoin d’inscrire, car la broderie est une écriture.

Les sculptures d’Estelle Jourdain participent également de cette conscientisation du besoin que l’on tire du réel car elles se suspendent à leur lieu de monstration, révélant leur qualité propre dans la dépendance qu’elles ont de l’espace les entourant.

Photographies cousues, sculptures suturées marquent une hybridation de la fonction de l’oeuvre d’art. Même cet objet singulier qu’est l’oeuvre d’art, chez Estelle Jourdain, montre son besoin vis à vis du réel. Or que fait habituellement l’art ? Il nous révèle, par sa singulière présence, le réel tel qu’il est si nous pouvions en jouir sans intérêt. Mais montrer un art qui lui-même tire un besoin du réel, occultant par là sa faculté à nous soustraire momentanément à ce besoin, c’est nous rappeler qu’il est fondamentalement objet. Et par là, que nous sommes et restons des sujets, avec toutes nos capacités d’auto-réflexions et d’auto-fondations.

Au-delà de la fragilité

par Christine Blanchet, historienne de l’art et commissaire d’exposition
Lundi 25 juin 2007

Estelle Jourdain vit et travaille à Noves, près d’Avignon. Ses médiums de prédilection sont la sculpture et la photographie. Ici, la sculpture au premier plan s’intitule Entre la terre et le ciel… elle tisse (2003).

Composée de métal et de fils, l’œuvre en lévitation nous étonne par la délicatesse de sa réalisation mais cet équilibre qui semble « fragile » n’est qu’apparent. Les sculptures d’Estelle Jourdain s’articulent autour d’un espace ; leur installation, chaque fois différente établit toujours une relation particulière et intime avec le lieu d’exposition. Elle joue avec les matières comme la paraffine et le métal …

Ces photographies font partie d’une serie de six appelée 1 – time, travail réalise en 2004. 
En noir et blanc, ces images révèlent une certaine mélancolie que ce soit les natures mortes ou les paysages de neige. On y retrouve la dimension sculpturale dans la présentation de l’objet photographié.